En revenant de Pont l'Evêque nous nous sommes tapés un bon coup de stress dans la voiture. Les routes de campagnes sont ne sont pas éclairées et depuis notre enfance, on porte tous en nous la peur du noir, de l'inconnu. Nous sommes partis à cinq dans la voiture des parents de Max, avec un bon 1/4 de réservoir soit à peine de quoi faire la moitié du chemin. Il nous fallait nous arrêter à une station la plus proche. La station Total faisait du 24/24 dans le souvenir de Max mais lorsque nous sommes arrivés, elle était morne plaine, on entendait siffler le vent et voleter les chauves-souris. Venue de nulle part, une voiture s'est garée silencieusement derrière nous et deux baraques à moustaches en marcel et bidon sont sortis pour nous proposer leur aide. La CB n'était pas acceptée et on ne pouvait pas se refueler. Sans se raconter nos vies, nous sommes partis dare dare et avons filé droit dans la nuit noire. Je ne sais pas combien de temps nous avons roulé mais c'était long et on commençait à avoir froid, on ne voulait pas tomber en panne d'essence au milieu de nulle part, à Ploucland. Tu ne sais jamais de quoi sont capables les ploucs. Ils n'ont pas les mêmes règles que nous, les gens des villes, ils te font un procès parce que les feuilles de ton pommier empiètent sur leur jardinet et te haissent lorsque tu t'installes chez eux alors que tu n'es pas né sur leurs terres depuis trois générations. Et si tu es perdu dans la nuit, ils te dévisagent d'un air menaçant et on ne sait ni ce qu'ils pensent, ni ce qu'ils vont faire.
Après avoir roulé dans un silence glauque et interminable, nous sommes tombés sur la station Leclerc où étaient garées deux voitures immatriculées du 93 dont l'une avait un 'A' sur le coffre. Plusieurs femmes et filles étaient debout, en train de manger, de machouiller on ne sait quoi, elles étaient accompagnés de deux mecs à l'air patibulaires mais presque, à la peau mate et en Jeans et Lacoste, Polo Ralf Lauren bien usés. A notre arrivée, tous nous dévisageaient et au lieu de détourner le regard, nous fixaient silencieusement dans un rictus peu rassurant. Max a lancé alors "Les Romanichels !". Son frère et elle sont sortis prendre de l'essence et à ce moment-là, les deux romanichels se sont approchés de la pompe ainsi que l'aéropage féminin, de notre voiture. Nous étions si tétanisés par leur présence peu rassurante et n'avions pas osé verrouiller les portes devant eux de peur de les provoquer.
L'un des basanés dit alors : "Pompes marchent pas, on est en galère, trouve pas essence !"
On n'a encore moins demandé des détails et on a filé droit vers le péage pour tenter notre chance sur les stations de l'autoroute.
Dieu que la campagne est calme est inquiétante la nuit : des tronçons entiers d'autoroute sont plongées de la plus totale obscurité ! En face les voitures éparses nous faisaient des appels de phare car nous roulions en code. Nous étions contents d'être sortis de cette station car irrémédiablement l'idée nette et précise que ces gens du voyage n'avaient que pour but de plumer genre la petite vieille qui allait chercher de l'essence à la pompe ou le vieux beau en Mercedes, commençait à germer en chacun de nous.
L'un d'entre nous lâcha un "Je hais ces connards de romanichels, ce sont les plaies de la société ! Ils ne cherchent que la pouille, déjà à Gare de l'Est, il y en a deux qui me collaient et voulaient me parler alors je ne les ai pas calculés !"
Dans ma tête c'était clair dans notre situation, tous les ingrédients du film d'horreur étaient réunis : cinq jeunes dans une vieille voiture quasiment sans essence qui cherchent leur chemin en rase campagne dans une nuit noire sous une demi-lune avec des rencontres peu engageantes. Qui sait ce qui aurait pu nous arriver cette nuit-là. On n'avait à peine bu de l'alcool mais on aurait pu être les victimes de chauffards des campagnes ou de psychopathes en mal d'émotions fortes. La tension montait doucement, ma voisine en ayant même les guiboles qui flageolaient quand soudain une voiture nous dépassa et se plaça devant nous, une voiture immatriculée 93 avec un 'A' … "les Romanichels !" on a crié d'une seule voix !!! Là on commençait à flipper grave : une voiture devant nous qui ralentissait et l'autre derrière nous qui nous faisait des appels de phare, il y avait de quoi douter quand même, ce n'était pas notre imagination ! Les faits avaient pris le pas sur nos galopantes pensées.
Finalement les deux voitures nous dépassèrent et prirent la route au loin devant nous, nous laissant pantois et libres de pousser un soupir de soulagement. Inutile de préciser que l'on n'a pas fait les fiers pour aller plus vite et les rattraper.
Ah des nuits comme celles-là, on en rigole après coup mais sur le moment, on n'en mène pas large !
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