993.- J'ai vu à quel point on pouvait rendre ennuyeuse une pièce de Molière. La version du magnifique Dom Juan qui nous a été permis de voir ce dimanche après-midi est décidément lente, poussive et soporifique. Je l'attendais avec plaisir car cela fait deux mois que j'ai découvert ce texte magnifique et Olivier Sauton m'a permis de jouer la sublime tirade de l'Acte I scène 2 dans le cadre de son cours de théâtre. Je l'ai passé une fois avec Aymeline dans le rôle de Sganarelle et j'ai ressenti un plaisir à dire ce magnifique texte qui est si beau et qui est une douce musique. Toute la pièce est un régal à l'instar du texte de l'Avare ou des Femmes Savantes.
Le metteur en scène Cyril le Grix comédien et scénographe a amputé la pièce de scènes entières et a coupé dans le vif y compris dans les plus beaux monologues dont celui que je répète depuis plusieurs semaines tous les matins et tous les soirs sur le trajet du boulot. Quel gâchis, comme s'il a voulu saborder lui-même la pièce en concentrant les moments les plus sombres et les plus tristes en laissant les scènes qui amènent de la gaité et de la joie, tout le côté Molière en somme. Des dix-sept personnages de la pièce, il en a enlevé dix et a fait jouer les sept restants par cinq acteurs. Dom Juan vieillissant a les traits de Jean-Pierre Bernard qu'on a du mal à voir en grand séducteur sur le retour. Alexandre Mousset qui joue Sganarelle est excellent. La grande originalité est de changer de sexe Gusman l'écuyer d'Elvire et de la faire maitresse du valet de Dom Juan. Mathurine, Pierre, M. Dimanche, Francisque et les deux frères d'Elvire, Dom Carlos et Dom Alonse, ont disparu. La mise en scène est triste avec les jeux de lumières qui évoquent tour à tour le palais de Dom Juan, l'Eglise de Dona Elvire et la forêt. En sortant, je voyais le metteur en scène assis au dernier rang faire la tête, peut-être en remarquant notre mine peu réjouie. Ma camarade de sortie me voyant endormi m'a même proposé de quitter la salle au beau milieu de la représentation. Et pourtant, il y avait des spectateurs pour s'extasier sur le talent des comédiens, sur la scénographie avant-gardiste et sur le magnifique français qui leur avait été servi. Quel massacre oui ! De la bouze pseudo-intellectuelle pour théâtre subventionné. C'est complètement desservir Molière et son oeuvre que de nous présenter ce spectacle pour snobs. Cela plaira peut-être les connaisseurs de Télérama mais l'ignorant que je suis n'a pas du tout adhéré au concept et vous le déconseille donc franchement.
(Crédit photo : Alexandre Mousset AgencesArtistiques)
"Dom Juan" de Molière mise en scène de Cyril le Grix avec Jean-Pierre Bernard (Dom Juan), Catherine Jarrett (Elvire), Philippe Fossé (Le Pauvre, Dom Luis, la Statue, le Spectre), Alexandre Mousset (Sganarelle) et Carole Schaal (Gusman, Charlotte, Ragotin) au Théâtre Mouffetard
Quelles surprise et consternation en lisant cette critique de ne pas retrouver la pièce que je viens de voir. Pourtant les noms sont bien les mêmes: où est l'erreur?
J'ai beaucoup aimé le Dom Juan de Cyril Le Grix: un Dom Juan rajeuni (paradoxalement!), une version épurée qui parait retranscrire plus fidèlement le projet initial de Molière. Version qui aurait eu encore plus de difficulté avec l'Autorité à son époque. Mais les temps ont-ils changé? On peut se le demander à lire certains éléments de la critique qui paraissent oublier l'essence-même de la pièce.
Oui, Dom Juan est d'abord une tragédie si on veut l'épurer. Cette version n'est pas "une version light" comme suggéré par la critique, elle est dense et difficile. Le jeu des acteurs va dans ce sens et il est à la hauteur. Les attaques contre Jean-Pierre Bernard et Catherine Jarrett paraissent déplacées et même insultantes (ce qui n'est peut être pas l'intention de leur auteur).
Jean-Pierre Bernard n'est pas jeune. Est ce une une tare en cette société de paillettes et de conformisme? Il déploie un jeu plein d'une énergie stupéfiante, d'une grande justesse et constance, dans son personnage de grand seigneur rebelle aux normes religieuses de l'époque et à l'éthique.
Et s'il semble peu témoigner de cette ambiguité apparemment souhaitée par O. Pradel, excepté cet instant où il laisse affleurer l'inquiétude de sa fin (juste avant la scène du cauchemar, quand il arpente lentement la scène au moment de s'allonger), c''est simplement qu'il est fidèle au texte, fidèle au personnage: celui d'un révolté que le "désespoir métaphysique" obsède.
Catherine Jarrett . Sa présence, son aura m'ont profondément ému. Elle incarne véritablement le ravage que commet la trahison sur un être sensible, ce déchirement de l'âme entre orgueil et sentiment bafoué, cette colère "rentrée" . Mieux, elle incarne l'amour-même et se place ainsi d'emblée dans le cadre d'une tragédie, ce qu'exprime pleinement son jeu intense de toutes les secondes : vibrante passionnée, dans le dépassement , le don absolu de soi. Et si elle est "précieuse", c'est au sens premier du terme, sans l'ombre d'une pose, au contraire c'est sa simplicité et son intériorité qui émeuvent, elle avance sur un fil tendu, affichant le prix inhumain de la trahison perpétuelle de Dom Juan; le "ridicule" ne pouvant être imputé qu'à l'excès dévastateur de l'Amour renié. Elvire ou le triomphe de l'Amour avec une Majuscule. Peut-être avec "sa moue" O. Pradel voulait-il simplement parler d'a-mou-r?
Retombant hier sur le site internet où j'avais pris mes billets (Billetreduc), j'ai d'ailleurs retrouvé cette même forte impression dans les critiques des spectateurs. Je ne comprends simplement pas ce commentaire auquel je ne vois pas de fondement.
La mise en scène met en valeur un rôle élargi pour Sganarelle (Alexandre Mousset), lui permettant de composer un personnage plus étoffé malgré sa flagrante inconstance née de ses tiraillements entre son être social et sa conscience qui s'affiche d'ailleurs comme étant celle oubliée de Dom Juan. La pièce frappe par la puissance et la modernité du message ainsi délivré.
Généreux dans leur performance, tour à tour coquins graves désespérés primesautiers charmants (Charlotte, Gusman, le Pauvre, le Père), les autres acteurs contribuent pleinement à l'unité de la pièce que tous emportent dans un tourbillon effréné à l'image de la vie-même, une mise en scène novatrice qui engendre un spectacle captivant .
Et l'impression perdure, portée par la voix envoûtante de Laurent Terzieff.
Rédigé par : Olivier André | 29 novembre 2010 à 20:51
Olivier, je vous remercie pour votre défense circonstanciée de la version de Cyril le Grix, toutes les sensibilités sont dans la nature.
Je ne prendrai pas néanmoins le risque de retourner la voir pour confirmer ma première impression car ce que j'apprécie chez Molière c'est la danse des mots et la verve rehaussée par une mise en scène flamboyante.
A ce titre, j'ai adoré la version de la pièce Les Femmes Savantes par Les Compagnons de la Chimère d'Arnaud Denis avec un Jean-Laurent Cochet au sommet de sa forme dans le rôle d'une femme !
Rédigé par : giao | 02 décembre 2010 à 10:14